Cabinet Van Teslaar, spécialiste de la réparation des dommages corporels.

L’indemnisation de préjudices dont l’ampleur est révélée tardivement

Par un arrêt en date du 21 septembre 2022, les 5e et 6e chambres réunies du Conseil d’État ont apporté des précisions importantes sur l’autorité de la chose jugée par rapport à des demandes d’indemnisation de la victime pour des chefs de préjudice au regard desquels le juge n’avait pas statué (CE, 5è et 6è chambres réunies, 21 septembre 2022, 446965).

Une victime se plaignant d’une faute d’un établissement hospitalier avait obtenu, en 2015, un jugement condamnant cet établissement à l’indemniser au titre de la réparation de certains préjudices.

Après que je jugement soit devenu définitif, la victime avait sollicité une nouvelle expertise médicale en référé, invoquant de nouveaux chefs de préjudice.

Le juge des référés avaient fait droit à la demande d’expertise du requérant au motif que les chefs de préjudice qu’il entendait réclamer, à savoir le préjudice professionnel et le préjudice sexuel, n’avaient pas fait l’objet d’une indemnisation spécifique dans ce jugement de 2015. La mesure d’expertise était donc utile puisque la victime pouvait par la suite réclamer une indemnisation complémentaire à l’encontre de l’hôpital.

L’établissement hospitalier s’est pourvu en cassation devant le Conseil d’État au motif que le jugement de 2015 avait autorité de la chose jugée, et qu’en conséquence la victime ne pouvait réclamer de nouveaux postes de préjudice, et qu’il s’ensuivait que la mesure d’expertise était donc inutile.

C’est dans ce contexte que le Conseil d’État a eu à se prononcer.

D’une part, le Conseil d’État rappelle qu’une mesure d’instruction ne peut être ordonnée qu’à l’appui de prétentions qui seraient recevables.

D’autre part, le Conseil d’État juge énonce le principe selon lequel « la décision par laquelle une personne publique rejette une réclamation tendant à la réparation des conséquences dommageables d’un fait qui lui est imputé lie le contentieux indemnitaire à l’égard du demandeur pour l’ensemble des dommages causés par ce fait générateur, quels que soient les chefs de préjudice auxquels se rattachent les dommages invoqués par la victime et que sa réclamation ait ou non spécifié les chefs de préjudice en question ».

Le Conseil d’État poursuit en indiquant que si la victime saisit le juge administratif dans un délai de deux mois à compter de la décision de rejet, il peut réclamer l’indemnisation de postes de préjudices qui n’avaient pas été mentionnés dans la réclamation initiale.

Le Conseil d’Etat ajoute qu’en l’absence de recours dans le délai de deux mois à compter de la décision de rejet le requérant est forclos pour agir, qu’il formule ou non de nouvelles demandes indemnitaires.

Selon le Conseil d’État, le juge des référés avait commis une erreur en statuant que la victime invoquait de nouveaux chefs de préjudice non visés pas le jugement de 2015, et en ordonnant une expertise médicale.

Il est logique que le Conseil d’État arrive à cette conclusion puisqu’il avait précisé qu’un jugement devenu définitif portait sur l’ensemble des préjudices découlant d’un même fait générateur, que certains chefs de préjudice aient ou non été spécifiquement mentionnés dans ce jugement définitif.

Le Conseil d’État avait cependant aussi précisé qu’il existait des circonstances dans lesquelles un requérant n’était pas forclos même s’il n’a pas contesté dans un délai de deux mois le rejet de sa réclamation. En effet, le requérant peut formuler des demandes nouvelles lorsque le dommage est né, s’est aggravé, ou a été révélé dans toute son ampleur postérieurement à la décision administrative ayant rejeté la réclamation.

En l’espèce, la victime avait 21 ans lorsqu’elle a formulé en 2019 des demandes nouvelles au titre de son préjudice professionnel et son préjudice sexuel. Le Conseil d’État juge que la victime ne connaissait pas l’ampleur de ces chefs de préjudice à la date de la réclamation ayant aboutie au jugement de 2015.

Dans notre affaire le Conseil d’État a fait droit à la demande d’expertise de la victime car cette dernière avait subi des dommages dont l’ampleur n’avait pas été révélée dans le précédent jugement.

Aux deux moyens traditionnels pour solliciter des demandes nouvelles après jugement – les dommages nés postérieurement au jugement ou une aggravation des dommages initiaux – le juge administratif ouvre un troisième moyen à savoir le cas de dommages dont l’ampleur est révélée postérieurement.

Par Sebastian VAN TESLAAR, avocat

Cabinet Van Teslaar Avocats

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